The guardian of the ruins

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Apollonia Saintclair 363 – 20130517 Le gardien des ruines (The guardian of the ruins)

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Elle était poursuivie par une horde de primates dégénérés et courait à perdre haleine, complètement nue, sur le sol inégal d’une chaussée immémoriale semée d’embûches: racines serpentines des grands arbres à gomme dissimulées sous la couches de feuilles mucilagineuses, dalles bancales qui cédaient brusquement sous les pas comme des dents pourries, lianes sinueuses presque invisibles, mais coupantes comme des lames de rasoir. Elle courait vite et évitait souplement les nombreux pièges laissés dans le marécage par une civilisation depuis longtemps disparue ; des herses Malgaches prêtes à jaillir du sol, des portails Birmans ouverts comme des mâchoires trompeusement accueillantes, des fosses hérissées de pieux couvertes de branchages et des arches de pierre friable qui crachaient à l’improviste un déluge d’un feu alchimique.

Elle commençait à fatiguer cependant et perdit son équilibre pour un instant ; les bêtes poilues se rapprochèrent un peu plus, leurs longs bras noueux à présent presque à la portée de ses épaules et de ses hanches dénudées. Elle trébucha encore, se reprit au dernier moment, mais il était désormais trop tard : plusieurs mains calleuses aux doigts si étrangement humains se refermèrent sur son corps tressaillant et la plaquèrent brutalement au sol, tandis que leur propriétaires velus lui faisaient subir une kyrielle de délicieux sévices sexuels, tout en la fixant de leur yeux rouges et pensifs.

La jeune femme se réveilla brusquement, baignée de sueur, le bas-ventre en feu et la sensation d’avoir la bouche pleine de poils fauves. Elle se tourna sur le côté, soupira langoureusement et pensa qu’il fallait qu’elle cesse de jouer, avant de s’endormir, avec le smartphone de son jeune voisin…

Thomas Selzam « Le signe de Tanith »

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Toxic Twins

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Apollonia Saintclair 845 – 20190302 L’étoile binaire (Elissa & Laila)

La furie aveugle. La rage dévorante.

Elle vient avec la chaleur torride, comme les ferments de la Peste, pareille à un miasme malsain et fait tourner la tête de tous les mortels. Canicule, chienne ardente dont la portée nombreuse porte des noms qui résonnent comme autant d’incantations cabalistiques: Simoun en Afrique, Chergui au Maroc, Khamsin en Egypte, Shehili en Tunisie, Loo en Inde, pour ne pas oublier ces vents de Santa Ana en Californie, dont l’haleine sauvage transforme les hommes en bêtes féroces.

Comme le mur incandescent d’un feu de brousse qui, quand il approche vous fait perdre toute rationalité, elle chasse ses disciples devant elle, après les avoir converti en une meute impie, hallucinée, en pleine débâcle. Elle leur insuffle la grande Frémissante, la folie rugissante, à coup de rafales surchauffées et les emporte tous dans une transe collective frénétique qui déborde dans une orgie de violence dionysiaque.

Fêtes païennes, Bacchanales. Le Christianisme, les Lumières, puis la Modernité ont voulu rejeter tout cela, mais rien n’y a fait : rien ne saurait résister à l’appel du chaos, à la litanie de la Fille du désert. On retrouve sa griffe chaque fois qu’un incendie couleur sang se déclenche sans cause apparente, partout où la psychose fait trembler les fondements de la société, où l’ordre établi vacille soudain, en proie à un dérèglement inexplicable. Elle est cette étincelle secrète qui met le feu aux poudres et dont il ne reste aucune trace de la culpabilité au lendemain de la catastrophe; c’est tout juste si l’on peut encore, avec difficulté, trianguler l’épicentre des désordres et se perdre en conjectures sur ce qui a bien pu déclencher ce raz-de-marée de folie furieuse.

Son prénom est tour à tour Laïla, Lily, Lamia ou encore Laliba, mais son nom n’a qu’une seule déclinaison: émeute.

Elle vient au cœur de l’été, et cette année, août promet d’être chaud comme jamais. Elle vient trottant de travers, comme une chienne efflanquée et lubrique. Elle vient.

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Je suis une exilée. J’ai fui pour échapper à un prince pervers, comme j’ai fui auparavant maintes fois. Je me suis embarquée dans les ombres du soir pour me libérer de la concupiscence, de l’avidité et de la vindicte dérisoire. Et j’ai pensé que j’aurais enfin mon propre royaume, pourrait me retirer du commerce des hommes et me laisser vénérer dans le naos d’un temple, traversant les ères, intouchable, en attendant que les constellations me soient plus favorables. Mais les clameurs n’ont pas cessé; les prétendants se sont succédés et il a fallu que je recherche un endroit encore plus reculé, encore plus secret. Tous ont cru qu’ils pouvaient me posséder, que j’étais leur proie, leur butin, leur chose. Leur trésor… Comme ils se trompaient! Les siècles ont passés et ces conquérants pompeux ne sont plus poussière et échos vagues éparpillés par les vents de l’histoire. Et moi, je suis toujours ici, hiératique, entière, impénétrable.

Regarde-moi, Simon ; ne suis-je pas parfaite ? N’as-tu jamais rien vu de semblable ? En réalité, je suis bien plus qu’un simili, plus qu’une imitation, plus qu’une idole. Je suis vivante! Depuis l’instant de ma création, je n’ai cessé de me remodeler; couche par couche, ligne par ligne, courbe par courbe, je m’affine chaque nuit un peu plus. Regarde ma peau, immaculée, aussi vierge et fraîche qu’une pente nouvellement enneigée : n’est-elle pas tiède et pourtant aussi indestructible que le diamant ?

Regarde moi et rêve de moi. Je suis la mère de tous les songes. Je suis une citadelle tombée du ciel.

Thomas Selzam Le signe de Tanith